Nous avons étudiés les likes, les vues et le nombre de vidéos de chaque courant politique, durant l'année 2021, pour déterminer les représentations majoritaires sur YouTube.
Comme étudié dans l'article précédent, ici, l'impact des vidéos postées sur YouTube, en termes d'audience, est élevé, et ces vidéos sont nombreuses. Aussi, afin d'estimer quelle influence pourrait avoir l'absence de régulation des contenus YouTube sur la Présidentielle 2022, nous avons étudié les statistiques de la plateformes via ses "API publiques".
Une API est une interface de programmation. Dis simplement, YouTube permet à toute personne ayant un compte de questionner la plateforme avec des fonctions prédéfinies. Cela permet d'automatiser la récupération d'informations. Par exemple, au lieu d'avoir à cliquer sur chaque vidéo, pour consulter sur sa page le nombre de vues, on peut faire une ligne de code qui nous retournera directement le résultat.
Les candidat·es ont tous·tes été associé·es à des courants ("droite", "gauche", "verts", etc.). Les courants sont ceux définis par France Info dans l'article accessible ici : extrême droite ou droite radicale, droite, gauche, verts, extrême gauche ou gauche radicale.
Nous avons choisi d'ajouter la majorité, représentée par l'éventuel candidat Emmanuel Macron.
Le "courant" est un regroupement intéressant, car il permet d'imaginer les grandes lignes du discours soutenu dans les vidéos postées.
Le premier indicateur auquel on s'est intéressé est le nombre de vidéos postées par les différents courants. Il donne une idée de l'activité sur la plateforme et de l'investissement associé. De plus, une chaîne active a plus de chance de capter l'attention d'un internaute.
Le graphique ci-après montre le nombre de vidéos postées par courant, par mois, durant le second semestre de l'année 2021.
En terme de nombre de vidéos postées, l'extrême droite est nettement majoritaire. Elle poste plus du double de vidéos que chacun des autres courants et maintient ce rythme tout au long de l'année.
Le web permet de déployer de puissantes stratégies de communication, à moindre coûts pour le producteur de contenus. Ceci peut être une alternative intéressante pour les candidat·es qui estimeraient manquer de visibilité sur les médias traditionnels, ou qui ne souhaiteraient pas que leurs idées soit confrontées à celle d'une rédaction journalistique.
Dans ce chapitre, nous allons étudier le nombre de vues des vidéos par courant, par mois. Puis nous étudierons le nombre de likes par courant et par mois. Ces deux indicateurs peuvent permettre d’estimer le potentiel de promotion de la vidéo par les algorithmes YouTube, ces derniers s’appuyant, entre autres, sur ces mesures.
Les algorithmes de YouTube sont l’ensemble des processus automatisés qui vont décider de quels contenus promouvoir auprès d’un ou d'une internaute. Pour ce faire, YouTube s’appuie sur le profil de la personne, mais aussi sur la potentialité de la vidéo à maintenir l’utilisateur sur la plateforme. Le business model de YouTube repose en effet sur la captation d'attention de ses visiteurs et visiteuses. Les vidéos valorisées par YouTube sont donc des vidéos sur lesquelles les gens cliquent, qu’ils et elles regardent, qui les font réagir et qui les amènent à regarder plus de vidéos. Si de telles vidéos correspondent à mon profil, ou bien si elles ont plu à des utilisateurs et utilisatrices ayant un profil similaire au miens, YouTube tendra à me les proposer.
Les courants extrêmes ou radicaux sont les plus populaires sur YouTube. Ce sont ceux qui postent le plus de contenus et ceux qui bénéficient du plus d'audience. Ils disposent aussi de la communauté la plus active, au sens où elle utilise les fonctionnalités de la plateforme (like) pour réagir. La différence est telle que les couleurs représentatives des autres courants, dits plus modérés, n’apparaissent pas ou presque sur les graphiques ci-dessus. Pour exemple, en décembre 2021, les vidéos d'extrême droite disposent de plus de mille (1 000) fois plus de likes que les vidéos de droite : 983 075 likes pour l'extrême droite contre 898 likes cumulés pour la droite.
L'extrême droite voit la popularité de ses contenus entamer une nouvelle croissance à partir de septembre 2021, date à laquelle fut postée la première vidéo d'Eric Zemmour sur sa chaîne officielle. Les contenus postés par le candidat sur la plateforme sont pensés pour la plateforme : il y a une identité de chaîne reconnaissable sur toutes les miniatures, toutes les vidéos disposent de nombreux tags, des formats réguliers sont produits et des punchlines viennent parfois créer la surprise au milieu de la programmation régulière. La forme est très bien adaptée à YouTube.
En décembre 2021, l'audience cumulée des vidéos d'extrême droite sur YouTube atteignait presque 15 millions de vues. Ceci est notamment du au type de vidéos que postent certain·es candidat·es d'extrême droite, qui sont des contenus pensés pour la plateforme, où l'audience est invitée à liker ou à partager.
Les courants extrêmes ont nettement plus investi la plateforme que ceux plus modérés. Le web permet une plus grande liberté de diffusion des messages, puisqu'ils ne sont pas soumis au comité éditorial des médias traditionnels. C'est donc un lieu privilégié pour l'expression d'idées radicales.
L’extrême droite est le courant le plus actif et les contenus postés veillent à respecter "les bonnes pratiques" de YouTube : avoir une identité de chaîne forte, des contenus identifiables tant par les internautes que par les algorithmes et inviter l'audience à réagir et à partager.
Les contenus d'extrême droite seront plus probablement mis en avant par les algorithmes de promotion de YouTube, puisqu'ils permettent de développer des indicateurs déterminants dans le choix automatisé des vidéos à mettre en avant : ils sont vus et ils font réagir. Deux critères qui permettent de maintenir un internaute sur YouTube, donc qui rapportent du temps d'annonce. La sur-activité de l'extrême droite sur YouTube pourrait voir son pouvoir de diffusion décuplé par les algorithmes de promotion de contenu de la plateforme.
N. B : Chez 810, nous pensons qu'il est capital que tous les publics puissent être confrontés à la pluralité des points de vues. Si certains publics ne peuvent être atteints qu'en diffusant des contenus sur YouTube, il faut alors se donner les moyens d'assurer la diversité des opinions sur la plateforme. Cependant, YouTube reste un géant privé étranger, non soumis aux réglementations nationales, et dont le business modèle repose sur la collecte et le traitement des données personnelles, ainsi que sur la captation d'attention de l'utilisateur ou de l'utilisatrice. Il est important que les personnalités politiques prennent en compte cet élément, pour veiller à ne pas diffuser leurs vidéos que sur cette plateforme (il existe de nombreuses d'alternatives). Auquel cas, cela reviendrait à privatiser les contenus vidéos des hommes et femmes politiques français·es auprès d'un acteur économique étranger, sans même ouvrir à la concurrence. Ceci va à l'encontre du code des marchés publics. A l'ère du numérique, la collecte de données peut être considérée comme un marché financier.
Autre élément déterminant dans la promotion des vidéos YouTube, notamment pour la fonctionnalité de lecture automatique, c'est la thématique associée aux vidéos postées. Ce sera l'objet de notre prochaine étude : quels sont les thèmes abordés par les différents courants ?